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The Angels of light – Akron/Family
VOIR | Thierry Bissonnette
SOI-MÊME COMME UN AUTRE
Troisième passage à Montréal pour les New-yorkais The Angels of light, une des plus intrigantes formations indépendantes sous le soleil. Michael Gira : « J'ai toujours été intéressé par le besoin qu'ont les gens de disparaître dans quelque chose. » Depuis que le groupe Swans a rendu l'âme en 1998, Michael Gira s'est adonné à une véritable renaissance artistique avec The Angels of light, dont les quatre albums forment une référence incontournable de la musique américaine récente. Renouant avec sa passion pour le folk-rock, Gira ne s'est pas contenté de suivre les traces de Woodie Guthrie et de Howling Wolf, mais il a transformé leur héritage avec une sensibilité actuelle et une remarquable ingéniosité dans les arrangements. En publiant sur son étiquette Young God des phénomènes tels Calla, Devendra Banhart et Larsen, ce cow-boy postmoderne a confirmé son statut de visionnaire, apte à lire dans les entrailles de notre chaos quotidien. Sur le tout récent Other people, Michael Gira a complètement renouvelé son équipe en requérant les services d'Akron/Family, une bande de campagnards dans la vingtaine installés à Brooklyn depuis peu. C'est en produisant leur album qu'il a vu quels territoires leur collaboration pouvait ouvrir à ses nouvelles chansons. « Ce sont de très bons enfants !, confie le vieux sage à propos d'eux. Je n'ai eu aucun problème avec eux... ils sont tellement enthousiastes. J'aime beaucoup changer d'équipe ainsi, ça me force à habiter un espace complètement différent. Je ne suis pas un compositeur à proprement parler, alors j'arrive avec quelques mélodies, contre-mélodies et harmonies, que je fredonne, et généralement tout s'améliore à travers le travail des autres. Chaque chanson évolue donc très organiquement. » Deviens ce que tu chantes Passé maître dans l'art du portrait, Gira s'est exercé dans ce disque à saisir l'essence de différents individus, pour en offrir une collection de condensés. Que ce soit un ami percussionniste ou un peintre de sa connaissance, toute matière pouvait lui servir, jusqu'à cette jeune femme partie combattre en Irak (Destroyer) ou un Michael Jackson machiavélique (Michael's white hands). Véritable jeu de miroirs où le narrateur et ses objets voient leurs identités s'imbiber l'une l'autre, ainsi que le suggèrent des titres comme To live through someone ou encore Let it be you. « Ce concept ne m'est vraiment apparu qu'à la fin. Ça s'est d'abord développé de soi-même, peut-être parce que j'étais fatigué d'écrire sur moi. Depuis le début de ce projet, j'essaie d'utiliser mes expériences personnelles pour en abstraire quelque chose d'autre, afin de ne pas ennuyer l'auditeur avec ma petite personne. Il m'est apparu juste, avec cet album, de redonner aux gens ce qu'ils m'avaient donné. » D'une grande psychologie, ces morceaux avoisinent parfois le cannibalisme mental, Gira s'appropriant la conscience des autres pour mieux devenir lui-même. Sur un ton généralement plus apaisé, on retrouve là l'esprit de nombreuses pièces de Swans telles Telepathy, You see through me, etc. « J'imagine que le genre de sujet qu'on choisit pour écrire reflète le type de personne qu'on est », propose le chanteur avec sa voix méditative. Chose certaine, ce dernier garde de la distance avec ses vingt premières années de carrière, qu'il s'amuse même à oublier pour ne pas avoir l'impression de se répéter : « Je ne me rappelle même plus de ces chansons. Par contre, je sais que j'ai toujours été intéressé par le besoin qu'ont les gens de disparaître dans quelque chose. Je ne pense pas que ce soit nécessairement mauvais, c'est simplement ce qui se fait à travers la religion, le sexe, les médias. C'est probablement parce que nous savons que nous allons mourir, ce qui nous pousse à fuir l'incertitude en nous offrant à une entité plus grande que nous. J'ai d'ailleurs fait un album complet là -dessus autrefois. Ça s'appelait Children of God. » Beauté du miniature À l'inverse de cette course vers la transcendance, Gira n'entend surtout pas donner trop d'expansion à sa compagnie de disques. C'est pourquoi, après avoir accueilli Devendra Banhart pour ses trois premiers disques, il voit maintenant d'un très bon œil que le jeune troubadour aille poursuivre sa route ailleurs. Ce fut d'ailleurs le premier artiste à faire plus d'un disque sur Young God, dont le catalogue est davantage une œuvre personnelle de Gira qu'une machine promotionnelle. Allergique aux compromis, ce fils d'homme d'affaires connaît ses limites et place la création au-dessus de tout, ce qui ne l'empêche pas de rêver à une reconnaissance un peu plus large : « Je ne veux certainement pas qu'Angels of light demeure dans l'obscurité. Mais je ne pense pas que j'écrive des chansons facilement accessibles, alors je tente d'élargir mon public tranquillement. »